dimanche 15 avril 2012

Le culte de l'objet

Flash revenu il y a quelques mois...

   Mon père a toujours été avide de technologies. À l'époque, début des années 80, il était radioamateur et passait son temps libre à discuter avec d'autres radioamateurs du monde entier. Le soir il s'enfermait dans son bureau, une grande pièce enfumée remplie de matériel électronique qui semblait bien étrange pour des petits enfants comme nous. Bien sûr il était hors de question que les gosses aient accès à cette pièce. Il me semble qu'elle était fermée à clé (je ne me souviens plus très bien)  mais ce qui est sûr c'est que la peur de se faire attraper était plus forte que tout, on se tenait à distance. 
   Je me revois pourtant un après-midi, seule dans ce bureau silencieux dans l'odeur de tabac froid, à regarder tous ces boutons mystérieux de très très près, en prenant bien garde de ne rien frôler, de ne rien salir ou casser. Il y avait même un appareil bizarre qui servait à faire du morse, un genre de pince sur un socle. Je me souviens aussi d'avoir tourné une des grosses molettes par défi. À peine, même pas une graduation entière. Petit geste de rébellion connu de moi seule et qui passa totalement inaperçu (heureusement)...

Exemple de station radio amateur
   Quand mon père s'offrait un nouvel appareil de radio, c'était la fête. La pièce de théâtre pouvait commencer et le public était déjà à ses pieds. Nous, les gosses, n'en perdions pas une miette, collés à la grande table du salon où avait lieu le déballage. C'était tout un rituel. Il ouvrait son carton délicatement, caressait le métal noir et soufflait très fort et à tout bout de champ pour enlever des micro poussières. Je revois ses doigts aux ongles parfaits glisser avec "tendresse" sur des tas d'objets au cours de mon enfance: des télés, des ordinateurs, des magnétoscopes, lecteur DVD, un disque dur externe. Quelle douceur, quel amour dans ses gestes! La petite Rose regarde avec beaucoup d'admiration et de respect, cette radio qui mérite, elle, l'attention, le temps et les caresses de papa. Mais la petite Rose ne se pose pas de questions, c'est comme ça. Impossible pour elle de comprendre ce "twist" dans la réalité...

   Niveau construction de l'estime de soi, on peut mieux faire. Une phrase que j'ai entendu toute mon enfance sur un ton méchant: "Les gosses... Toujours tout salir, défraîchir..." accompagnée d'une moue de dégoût. À propos de mon carnet de correspondance, de nos jouets ou de nos livres de classe: on aurait dit que tout ce qu'on touchait devenait pollué et sale.
   A bientôt,
   R.

"Roar" by Roger Ballen

Note: Avec le recul de l'adulte, je trouve le radioamateurisme vraiment beauf comme activité. Communiquer avec des gens du monde entier par radio pour parler de... radio...

lundi 9 avril 2012

Déprime-Analyse-Réparation

   Voici mon mantra... 
   Dimanche soir, après un après-midi passé en compagnie de couples d'amis et de leurs chères têtes blondes, j'ai ressenti une grosse baisse de moral. Retour encore une fois des pensées morbides en boucle fermée dans ma tête, submergée, terrassée par une vague de merde qui déborde de l'intérieur. Discours intérieur bien rôdé car je le connais par coeur...

   Tu es inapte à la vie ma pauvre, rends-toi à l'évidence. La vie de famille, les enfants, ce n'est pas pour toi. Le mal est à l'intérieur de toi, il vaut mieux arrêter toute relation avec Balthazar, lui il est prêt et toi tu ne pourras jamais être une mère. Heureusement que tu n'as pas d'enfants, les pauvres... Je suis incapable de vivre sans cannabis, c'est trop dur, je suis coincée, je dois tout recommencer, j'en ai pour des années de thérapie... Ma vie est plate, rien n'a de saveur, ça va être long toute une vie avec cette douleur, ce vide à l'intérieur, il vaut mieux POUR TOUT LE MONDE en finir... Comment elle s'appelait déjà cette petite capsule d'euthanasiant pour chien? Faut pas se rater, sinon ça sera pire après... Et Balthazar??? Culpabilité...

   Et Balthazar, justement, m'a tendu la main hier soir. Il a senti mon mal-être, mon empiffrage frénétique de bouffe comme une grosse truie au repas avait dû lui mettre la puce à l'oreille. Je l'ai d'abord repoussé. Comment accepter un geste de tendresse, de compassion envers soi-même lorsqu'on se sent comme le pire rebut de l'humanité? Il ne s'est pas laissé repousser bien loin. "Analyse! Qu'est-ce qui a provoqué cet état?"

Drowning Girl by Roy Lichtenstein (1963)

   J'ai vidé mon sac, en larmes. 
   
   On pourrait partir ensemble, hein? Tout recommencer à zéro. On dit rien à personne, on disparaît, on recommence à J+1 dans un autre pays. Je nous vois, heureux et bronzés, avec nos enfants sur une plage - pensée tellement magique je le sais bien, c'est ce que mes parents ont fait, s'enfuir au soleil et ça n'a rien arrangé...

   Ça va mieux, je me mouche et j'analyse ma journée...

   La discussion Skype avec mon médecin de père qui datait du matin même (Je sais pourtant bien que je ne trouverais JAMAIS de réconfort de leur part...). A la base je voulais juste un conseil pour mon problème de dos, finalement il m'a déclaré: "J'ai eu mon premier lumbago à 24 ans ma fille, tu te feras opérer comme moi et ça ira mieux, les chiros sont tous des charlatans." Une belle promesse d'hérédité dont je préfère me passer en ce moment... J'avais ironisé ce discours, mais le cynisme cache parfois la blessure, oui cette fatalité dans sa voix m'a fait mal, ce détachement complet de la dimension émotionnelle et psychologique m'a (encore une fois) heurté de plein fouet.

   Deuxième point noir de ma journée, certains comportements de mes amis envers leurs enfants me choquent terriblement. Il faut dire que depuis quelques mois, je suis très sensible aux réactions des adultes envers les enfants. Pour moi, refuser de s'occuper de ses enfants sous prétexte que c'est au tour de l'autre de le faire, et ce, devant l'enfant en question c'est violent, ça veut dire: "Tu nous fait chier, tes besoins ne sont pas importants pour nous."
   Débouler comme un fou dans la chambre où les enfants sont obligés de faire la sieste pour leur hurler dessus alors qu'ils sont en train de rigoler, c'est de l'éducation par la terreur. 
   Humilier un enfant sous prétexte de faire une blague ou de rigoler c'est de l'abus car l'enfant n'a pas les moyens de comprendre l'humour à ses dépends et encore moins de se défendre, il dépend totalement de ses parents.
   Ce qui m'a dégoûté le plus dans tout ça, c'est le consensus. Tout le monde trouvait ça complètement normal d'en rire, de plaindre les parents. Et on en rajoute une couche devant les enfants en question... Ah la la! Les enfants, c'est vraiment la fin de la tranquillité, profitez-en bien, après c'est fini... 
   Sérieusement, man, fallait réfléchir avant de les faire tes gamins, eux ils t'ont rien demandé et ils sont là! Alors tes blagues de merde garde-les pour toi!

   Oui ça m'a vraiment fâché! De l'exprimer à Balthazar nous a rapproché, ma confiance en moi, ma foi en l'avenir est progressivement revenue. Impression de sortir la tête de l'eau, de pouvoir envisager un avenir, de pouvoir avoir foi en moi. Merci mon beau Balthazar de m'avoir tendu cette main, de m'avoir écoutée et consolée. 
   R.

  

   


vendredi 6 avril 2012

Petit psoas bloqué à droite

   Il y a quelques semaines, je me suis bloqué le dos suite à une séance de Qi gong. Il s'agit de techniques de respiration et d'exercices d'assouplissement plutôt doux, donc j'ai eu du mal à comprendre pourquoi ma ceinture lombaire est restée bloquée pendant presque 15 jours. Impossible de vider le lave vaisselle, de porter le chat ou de mettre mes chaussures. Au bout de 15 jours d'anti-inflammatoires pour pouvoir dormir et travailler normalement, la douleur a diminué, puis finalement disparu. Et voilà que la semaine dernière, mon dos se bloque à nouveau. je me suis donc décidée à consulter un chiropracticien. 
   Selon lui, ces douleurs sont reliées à une vieille chute sur un bateau datant d'il y a environ 8 ans qui a causé une déviation du sacrum (le cul). 
   Dès la première séance de massage et d'exercices, cette semaine, il a repéré un point dans mon aine droite qui est pour moi "le siège d'une grande émotionnalité". En effet, dès qu'il approche sa main pour masser ce point précis, je me raidis sans pouvoir me contrôler et mes paumes deviennent moites, j'ai peur qu'il me fasse mal. Bon, pour moi cette peur est normale, c'était ma première séance de chiro, j'étais inquiète de mes douleurs au dos. Eh bien aujourd'hui, lors de la deuxième séance, même réaction, impossible de me contrôler... Mains moites, tension, défense, et uniquement du côté droit. Il m'a alors expliqué que cette tension musculaire est probablement présente depuis l'enfance puisque j'ai développé de gros mécanismes de défense pour protéger cette zone. 
   Petit cours d'anatomie: il s'agit du muscle psoas, le seul muscle qui relie les jambes à la colonne vertébrale.

Le psoas, c'est le massage de ce muscle qui me met dans tous mes états.

   Il m'a rapporté une conversation qu'il avait eu avec un psychiatre au sujet de la psychosomatisation. Selon ce psychiatre, tout le monde somatise, transforme sa douleur psychique en symptôme physique pour ne pas perdre la raison. Inutile de préciser que ça m'a beaucoup intéressé!
   Je suis très curieuse de développer cette nouvelle relation avec mon corps. Me réapproprier ces organes, ces membres, ces tissus et ces muscles, ne plus les voir comme de simples outils mécaniques qui permettent d'avancer et de manipuler, mais comme un ensemble qui fait partie de moi et dont je fais partie. J'ai besoin d'apprendre plus des signaux de mon corps, les écouter de la même façon que j'essaie d'analyser mes processus psychologiques avec Nina.  
   Je ne peux pas m'empêcher de penser, d'espérer que de dénouer ce "point" douloureux me permettra de (re)trouver le chemin de ma sexualité. Pas si fou, hein? Géographiquement, ce fameux point n'est pas situé si loin de mon sexe... 
   Ah oui, au fait, ces 2 séances m'ont fait beaucoup de bien et mon dos douloureux ne me réveille plus la nuit, merci docteur Chiro!
   R.

 

samedi 31 mars 2012

Zombies, vampires et onirisme

   Certains cauchemars m'accompagnent depuis l'enfance. J'ai le souvenir de rêves récurrents et assez atroces pour qu'ils gardent leur saveur initiale à chaque répétition... Il était souvent question de vampires.
Mon premier vampire a été Klaus Kinski dans Nosferatu:


   Pas très glamour celui-ci, avec ses crocs tordus, effrayant à souhait, c'était plutôt une caricature de démon, moi je préférais la vision romantique du vampire. J'étais fascinée par leur allure froide et distante, leur classe et leur charme, et surtout par leur besoin secret de se nourrir de quelqu'un. Pas de chance si tu te laisses captiver par le regard intense du vampire, après t'avoir intrigué et séduit, faisant mine de t'embrasser, il plante ses crocs acérés (soudain apparus) dans le creux de ta gorge et se nourrit de ton sang, de ton âme. Une autre caractéristique me glaçait: il fallait avoir invité le vampire a rentrer chez soi pour qu'il puisse revenir dans la nuit assouvir sa faim. C'était ta propre confiance qui te trahissait...

   Une nuit, la petite Rose a rêvé de la première maison de son enfance. Dans ce rêve, elle était en bas dans la cuisine avec sa maman et le petit Nils. Soudain, quelque chose a changé dans sa mère, était-ce son visage? sa voix? La petite Rose se rend compte que sa mère n'est plus la même, elle est devenue brusque et effrayante et surtout, elle veut lui faire du mal. Pire, à l'instant même ou la petite Rose a pris conscience de ce changement, sa mère l'a su. Le fameux "Je sais que tu sais que je sais...". Sa fille est devenue un danger et il faut la faire taire. La petite Rose s'enfuit, monte 4 par 4 les escaliers jusqu'au couloir qui lui servait de chambre à l'époque. Le visage de sa mère a changé, elle hurle maintenant, un sourire dément sur la face. La petite Rose est terrorisée, elle sait que l'étage est une impasse. Elle se jette sur son lit, dernier recours complètement illusoire. Sa mère est sur elle maintenant, c'est la fin. La petite Rose a tellement peur qu'elle commence à rétrécir, elle devient de plus en plus petite pour échapper à sa mère. Elle est si minuscule qu'elle parvient presque à disparaître, cachée sous les plis du drap que sa mère fouille avec une avidité féroce. Réveil.

   Ces derniers mois, alors que je déchirais le voile qui protégeait mon enfance, mes cauchemars avaient plutôt des airs de fin du monde. Au début, ils étaient angoissants, j'errais dans des villes post-apocalyptiques détruites, en tentant de fuir des hordes de zombies. Je tentais de fuir, de me cacher, j'étais tétanisée et me réveillais couverte de sueur, un sale goût dans la bouche. Petit à petit, le scénario s'est modifié, dans certains rêves je me retrouvais même armée de coutelas et de machettes et je dézinguais ces zombies à gros coups tranchants dans la tête et les bras. Toujours aussi effrayant, un peu gore aussi, mais beaucoup plus satisfaisant: j'arrivais à agir et me défendre.
   Mon dernier rêve de fin du monde due à une attaque massive de zombies s'est plutôt bien déroulé, je courais chercher ce qu'il nous fallait pour survivre dans des supermarchés saccagés: de l'eau, des armes, de la bouffe. Nous, c'était Balthazar, moi et des amis proches. On se cachait dans un immense bateau et on mouillait la nuit dans un archipel bien à l'abri. Plus rien à voir avec la peur tétanisante des débuts. Oui, je suis devenue plutôt bonne pour gérer les attaques massives surgies du passé, je donne même plutôt dans la recherche créative de solution. Le contexte a changé aussi: mon univers s'est écroulé certes, mais il y a une suite, un nouveau départ, une nouvelle histoire.

   R.





Rechute et transfert

   Ça faisait un moment que je ne m'étais pas connectée, je reviens donc, cher lecteur, avec des nouvelles du front. Ces derniers temps, l'ambiance n'a pas été au beau fixe...
   J'ai arrêté le cannabis depuis presque une semaine maintenant: je n'en ai plus chez moi et je ne veux plus passer commande. Mon sommeil est meilleur, je rêve à nouveau, mes réveils sont plus faciles mais le soir c'est difficile... Je n'ai plus mon échappatoire, je ne peux plus fuir, alors j'angoisse, je cogite, je pète les plombs et je me (re)fait du mal, je culpabilise moins mais la douleur est là. J'ai l'impression de régresser à nouveau, de reculer émotionnellement de 2 pas. Nina a été surprise par mon arrêt cannabique, selon elle c'était prématuré, je me suis enlevée une béquille et j'ai rompu l'équilibre que j'avais réussi à instaurer dans mon quotidien. Pourquoi avoir arrêté? L'envie de faire un enfant dans un futur pas trop éloigné et encore abstrait, me défaire de cette dépendance qui devenait envahissante, j'avais quadruplé ma conso ces dernières semaines et petit à petit, j'avais transgressé les règles que je m'étais fixées: pas en semaine, juste un pétard, pas après 10h en semaine...


   Cela explique aussi ma désertion du blog au mois de mars: gros manque de motivation et léthargie opiacée.
   Cette semaine, au niveau émotionnel, j'ai eu de gros doutes dans ma relation avec Balthazar, à certains moments j'ai même ressenti de la haine contre lui, il m'a insupporté, je l'ai détesté, il m'a dégoûté physiquement et moralement. Pas facile à admettre, encore moins à partager avec l'intéressé! Je n'ai pas osé lui dire tout ça, mais il m'a confié ses inquiétudes et j'ai eu du mal à le rassurer. Au contraire, j'ai repoussé tout contact, toute tentative d'approche de sa part. J'étais une pierre, un bout de bois sec et mort, je n'arrivais à ressentir que du vide et du froid. D'un autre côté, cette absence d'émotion était parfaitement justifiée par un repli sur moi-même: en fait, j'avais l'impression de me protéger.

    Pour Nina, cette haine est un transfert.   "Le transfert en psychanalyse, est essentiellement le déplacement d’une conduite émotionnelle par rapport à un objet infantile, spécialement les parents, à un autre objet ou à une autre personne, spécialement le psychanalyste au cours du traitement." (Merci Wikipédia)
  
 Cette haine viscérale que j'ai projeté sur Balthazar est en fait celle qui revient de droit à mon père. Celle que j'aurais dû ressentir et exprimer à mon père lorsque j'étais une petite fille vulnérable et que je n'avais absolument aucun moyen de le faire. Il s'agirait également d'une déconnection de mes véritables sentiments. Ah oui? J'aurai besoin de savoir comment reconnaître les vrais sentiments des transferts, est-ce qu'il y a des indices? Comment distinguer la réalité du fantasme? D'un autre côté, Nina me répète que j'ai besoin d'être à l'écoute de ce que je ressens... J'ai une vague impression d'avoir voyagé dans la matrice...
   Conclusion de cette histoire: je vais mieux mais j'ai envie de me rouler un énoooorme pétard.

You take the red pill and you stay in Wonderland and I show you how deep the rabbit-hole goes. 
   Ah oui! Mes parents ont prévu de venir nous rendre visite au mois de Septembre. D'ici là, je serai prête, forte, armée et protégée pour pouvoir vivre avec eux sans trop de conséquences néfastes pour moi. Nina avait même parlé de m'aider à préparer cette visite, mais voilà, depuis ma "rechute" elle pense que c'est trop tôt, que je devrais reporter. Je ne sais pas quoi penser, je suis déçue, j'ai peur d'être un cas incurable. J'ai besoin d'espoir, pas qu'on me traite comme une petite chose fragile.

   A bientôt,
   R.


samedi 3 mars 2012

A la recherche de ma sexualité...

   Le sexe. Voilà la matière de mes entretiens avec Nina, ma psychothérapeute, ces dernières semaines. Le sexe, ma sexualité et mon asexualité qui dure depuis très longtemps. Mon amour pour Balthazar est riche et profond, mais c'est un amour platonique. Du désir je n'en ai plus depuis quelques années et je me rends compte que mon désir d'avant, ma rencontre avec d'autres hommes n'était pas motivée par un désir sexuel mais par de la curiosité, du défi, de la soumission, de la vengeance ou de la perversité... Bref, il est temps de s'attaquer au coeur du problème...

   Selon Nina, le sexe est un "jeu" entre adultes consentants, c'est la façon de jouer des adultes. Je venais de lui raconter un souvenir de la petite Rose. 
   Il y a très longtemps, une petite fille accompagne sa grand-mère à un thé chez des amies à elle. La petite Rose est extrêmement timide et n'ose pas regarder les adultes en face. Elle murmure un bonjour et espère qu'on la laissera seule explorer la maison ou le jardin pendant que les adultes parlent entre eux. Eh bien non. La petite Rose se retrouve assise à la même table que ces vieilles dames pomponnées qui la mange du regard. On la questionne, elle ne desserre pas les lèvres, petits poings contractés sur les genoux. On rigole, on la sermonne avec condescendance, il ne faut pas être timide comme ça voyons. La petite Rose se sent de plus en plus mal car elle aimerait faire plaisir à sa grand-mère mais c'est pire, elle a honte d'infliger cette déception à sa grand-mère qu'elle aime, qui est douce et gentille avec elle. On lui sert un verre de quelque chose, elle n'ose pas y toucher, elle veut juste qu'on l'oublie, elle veut disparaître. 
   Au bout d'un moment, la dame-hôtesse, veut lui faire plaisir et ramène un carton plein de Barbie et de vêtements de poupées qui appartenaient à sa fille, elle vide le carton devant elle. Rose murmure un merci. Le supplice est à son apogée pour Rose qui, la bouche sèche, fixe les nervures du bois de la table. Les dames sont mal à l'aise, sa grand-mère aussi. Son regard dévie d'un millimètre, ces poupées sont fabuleuses, elle rêverait en secret de jouer avec mais elle n'y touchera pas. Elle attend, la boule au ventre, les mâchoires serrées, ce supplice finira bien par s'arrêter. 

Image volée d'un blog sans autorisation, pardon, mais elle convient tellement...
   Pour Nina, peut-être que je ne m'autorise pas à jouer maintenant au sexe de la même manière que je me suis interdit de jouer avec ces poupées. 
    Je ne sais pas si cela suffit à tout expliquer mais ça a du sens, le sexe n'est pas la seule chose agréable que je m'interdit de faire, de dire ou de penser. J'ai plutôt souvent eu du mal à me faire plaisir sans culpabiliser, sans me dire que je ne le méritais pas, sans me faire du mal après comme s'il y avait un prix à payer. Enfin, en ce moment je travaille à une meilleure estime de moi, et selon Nina en continuant sur cette voie, en laissant Balthazar rentrer dans mon intimité, le rapprochement se fera au fur et à mesure. 
   On verra bien ce que ça donne. Je pense juste que ça sera un peu plus compliqué que ça. Jeudi, j'ai réussi à formuler une grosse peur que j'ai par rapport au sexe. L'image de dureté, de violence que mon père m'a donné dans mon enfance des relations que je pouvais avoir avec un homme, peur, douleur, sadisme, soumission... J'ai atrocement peur d'avoir une sexualité déviante, anormale... L'avoir formulé m'a fait du bien, je n'en ai pas parlé à Balthazar car j'ai honte... C'est troublant aussi de l'écrire noir sur blanc sur un blog, vive l'anonymat!

   R.
   

vendredi 2 mars 2012

Mishima

  Je viens tout juste de terminer une très bonne biographie de Yukio Mishima (de Jennifer Lesieur). Cet auteur et poète japonais s'est rendu tristement célèbre le 25 Novembre 1970 en commettant un des derniers seppuku du 20ème siècle à l'âge de 42 ans. Il s'agit d'un suicide rituel de guerriers japonais de la Société du Vent Divin (Kamikaze), une mort pour l'honneur. Techniquement, Mishima s'est ouvert le ventre de gauche à droite à l'aide d'un poignard. Il se fait ensuite décapiter à coups de sabre par un camarade qui subira le même sort que lui.


   La mort imprègne toute l'oeuvre de Mishima, son idéal esthétique est le jeune et viril héros promis à une mort violente au combat pour défendre sa nation ou l'empereur. L'érotisme et la sensualité sont aussi liés à la mort "choisie" et il décrit également dans certaines de ses oeuvres des suicides en couple. Apparemment, il associe très tôt le désir sexuel à la mort puisqu'il décrit dans Confessions d'un masque sa première attirance sexuelle pour ce tableau du martyre de Saint-Sébastien:

Saint-Sébastien de Guido Reni
Mise en scène de Mishima
   Ce qui attire Mishima, c'est le regard extatique du jeune homme en train de mourir, le plaisir se trouverait donc dans la souffrance et le summum de ce plaisir dans la mort violente. Malgré ce fantasme Mishima n'est pas devenu tueur en série mais écrivain, auteur de pièces de théâtre et acteur. La mort l'accompagne dans sa vie et dans son oeuvre. Pour lui, réussir sa vie, c'est réussir sa mort et il vaut mieux qu'elle arrive dans sa jeunesse. De préférence une mort choisie avec un prétexte "noble" comme la guerre ou l'honneur. 
   Pour concrétiser cette pulsion morbide, Mishima ne fait pas dans la dentelle, il crée une milice apolitique (clairement de droite quand même) avec camp d'entraînement, nostalgie de la grandeur du Japon d'autrefois et vision romantique de la mort au champ d'honneur. C'est la Société du Bouclier (Tatenokai). Mishima veut faire un putsch pour changer la constitution de 1947 qui interdit au Japon d'avoir une armée suite à la défaite de la Seconde Guerre Mondiale, affront inadmissible pour Mishima qui veut rendre sa souveraineté au Japon. Le 25 Novembre 1970, après une prise d'otage plus ou moins ratée, Mishima réussit néanmoins sa mise en scène et se donne la mort devant la presse et son armée.

Mishima quelques instants avant sa mort

   Cette mort, il l'a anticipée, préparée, savourée toute sa vie. Il l'a mise en scène au théâtre, dans ses romans, quelques mois avant sa mort il organise des rétrospectives de son oeuvre, expose le sabre avec lequel il sera décapité. Quelques jours avant sa mort, il se fait photographier chez lui pour une série intitulée La Mort d'un Homme, où il est immortalisé dans diverses saynètes morbides, dont un seppuku.
  
Mise en scène de Mishima
   Difficile de ne pas mettre en relation cette fascination pour la mort avec l'enfance de Mishima. Il a été littéralement enlevé à ses parents dès sa naissance par sa grand-mère paternelle Natsuko qui le coupe du monde et l'oblige à prendre soin d'elle. Mishima vit cloîtré dans la chambre de sa grand-mère, semi-démente, elle lui interdit de jouer avec les autres enfants, de s'exposer au soleil, lui impose des régimes alimentaires fantasques censés le guérir de sa santé fragile. La santé de Natsuko déclinant, c'est Mishima qui la soigne, la masse, la rassure, lui donne ses médicaments, elle en fait un parfait petit infirmier. On imagine la terreur de ce petit Mishima lorsqu'une nuit sa grand-mère, dans une crise se met un couteau la gorge et hurle qu'elle préfère mourir... C'est cette même grand-mère qu'il aime malgré tout qui lui fait découvrir le théâtre No et le Kabuki, elle lui communique aussi sa passion pour la littérature.
   A 12 ans, il quitte enfin ce cocon malsain pour retrouver sa vraie famille. Mais là encore tout n'est pas rose, son père (ancien militaire) décide de l'"endurcir", de gommer son "côté efféminé" en imaginant des jeux sadiques, comme faire semblant de le lâcher sur les rails devant un train qui passe... Il lui interdit également la lecture et encore plus l'écriture. Petit Mishima... blessé, abusé, nié dans sa nature...
   

   Cette biographie est très bien écrite, fourmille d'informations sur l'histoire du Japon, la littérature japonaise et retrace la vie hors-norme d'un ex-enfant blessé fasciné par la mort au destin tragique.
   R.

    

   

mardi 21 février 2012

Happy birthday...

   Je m'étais réjouie un peu trop vite... Ces derniers jours, j'avais retrouvé plein d'énergie, je me sentais un peu plus proche de moi-même, bienveillante envers moi-même, plus saine dans ma relation avec les autres. Il y a eu quelques crises, bien sûr, avec une seule fois une très forte envie de me faire mal mais j'avais réussi à me maîtriser et plus ou moins l'analyser. Bref, j'allais bien. Assez bien pour décider de souhaiter un bon anniversaire à mon père. 
   Et en moins d'une demie heure de conversation, la vilaine honte qui revient, celle qui fait qu'on est moche, petit et sale. La petite touche d'humiliation au détour d'une phrase "innocente", un brin de manipulation, de culpabilisation, je me sens mal, en danger. 
   Mais, depuis que j'ai ouvert les yeux sur mon passé, je vois clair dans leur jeu. Je sais exactement ce qu'ils attendent de moi et à quel moment. En discutant avec eux je retrouve le même vieux costume qu'ils ont taillé pour moi il y a 33 ans. Et la pièce de théâtre continue, sur votre écran si l'appel est par Skype...
   Voilà ce soir ça m'a fait mal. Et ça a duré une heure ou deux avec une impression de régression, une peur, une angoisse vague qui tenaille. Le sale goût amer qui revient dans la bouche. Comme il y a 6 mois, quand j'étais au plus mal, au plus enfoncé dans cette noirceur. Puis, j'ai eu de la colère envers mes parents, envers mon père. J'ai repensé aux anniversaires de mon père. C'était le seul bisou de l'année, que dis-je le seul contact physique que j'avais avec mon père dans l'année à part les claques, coups de doigts ou autres punitions/jeux. Alors oui, forcément, ce contact fait peur. Chacun à notre tour on allait faire un "bisou" à papa pour son anniversaire. Je me souviens comme c'était effrayant. 
   Au premier abord, ce qui frappe la petite Rose c'est cette odeur d'après-rasage qu'il a utilisé pendant toute cette période-là. Un parfum lourd de menace car associé au personnage et à cette crainte qu'il inspire. Elle approche de son papa mais n'ose pas le regarder dans les yeux, c'est trop étrange ce qui va se passer. L'odeur devient plus forte alors qu'elle approche sa petite bouche du visage. "Bon anniversaire papa" à peine soufflé. La bouche qui frôle à peine la barbe qui pique et un peu la peau. Sous cette peau, la petite Rose sent un frémissement de rage, de colère, un animal sauvage qui attend. Même s'il est caché pour le moment il peut resurgir n'importe quand, se défouler sur n'importe qui, imprévisible. C'est déjà fini, le bisou. Lui, bien sûr n'en a pas donné. Il lui serre très fort une épaule d'un geste brutal, maladroit. Il dit: "Merci ma fille" d'un ton ironique, un sourire mauvais. La petite Rose ne le sait pas encore à ce moment-là mais il ne sait pas exprimer ce qu'il ressent, ça lui fait peur, alors il diminue, il rabaisse pour donner le change. Il les regarde patauger chacun à leur tour dans cet exercice affectif où leur maladresse est flagrante. 
   Autre souvenir douloureux, une fois qu'on lui avait acheté une bouteille de vin pour la fête des pères, il a rigolé car c'était de la piquette (c'était le cas, d'ailleurs) puis il a dit à ma mère qu'on avait fait ça juste pour ne pas se faire taper, qu'on était des lèche-culs (il faut dire que ça arrivait parfois). Ma mère avait été blessée car elle nous avait aidés à acheter le cadeau. Avec le recul, c'était un peu ça, un micropeuple de 3 ou 4 enfants qui faisait une offrande à leur dieu. Un dieu merveilleux et terrible, duquel ils attendaient tellement, duquel ils dépendaient fortement. Un dieu de colère noire et de foudres cinglantes. Mais on ne voulait pas seulement éviter une punition, on ne le savait pas à l'époque mais ce qu'on voulait c'était de la proximité, de l'échange, de la gratitude, de la considération, choses que mon père était incapable de partager avec nous. Mais bon, je pense que ce sentiment de toute puissance devait bien lui plaire à l'époque.
  Voilà petite Rose, pardonne moi d'avoir oublié ces "bisous d'anniversaires" tendus et effrayants. Tu n'as plus besoin d'avoir peur maintenant, tu n'as plus besoin non plus de commencer à penser à cet anniversaire 2 mois avant "C'est bientôt l'anniversaire de mon père, il faut absolument que j'y pense". Tu n'es plus obligée d'envoyer un mail, d'appeler s'il n'a pas répondu au mail. D'avoir peur qu'il ne l'ait pas vu et qu'il pense que je l'ai oublié. Rose, tu peux arrêter d'attendre quelque chose de sa part, ce que tu attends il ne pourra jamais te le donner: l'amour dont tu avais besoin il y a 25 ans. 
   Bon, je parle de moi à la troisième personne, il est donc l'heure d'aller dormir... 
Bonne nuit à tous,
R.


      Marilyn Monroe :"Happy birthday Mr President"
     


dimanche 12 février 2012

Martinet

  Mon père était médecin de campagne dans un petit village de l'Ouest de la France. Un jour, un de ses patients lui fit un cadeau dont on se serait bien passé. Je ne pense pas qu'on ait eu droit à des présentations en bonne et due forme à l'époque mais plutôt à une entrée en matière corsée. Le cadeau, c'était un manche en bois de 20cm de long auquel étaient cloutées des lanières de cuir marron d'1m de long. Les lanières avaient une section carrée de 1cm de côté. Du fait maison. Ce cher patient à mon père l'avait fabriqué "spécialement pour vous docteur, je sais que vous avez 4 enfants..."
   Impossible à saboter. Le petit Cham a réussi une fois à couper 2 lanières. Il avait utilisé 2 sortes de ciseaux différents et même un couteau. La petite Rose a dit: "Non, arrête... T'es fou... Fais pas ça, tu vas te faire buter...". Il a fini de couper une lanière au couteau. Quand mon père s'en ait aperçu, il ne l'a pas loupé. La petite Rose dans sa chambre juste à côté a bouché ses oreilles, la boule au ventre. 
   Il y aura eu 2 époques, une avant et une après le martinet. Avant ce délicieux cadeau, il y avait les cuillères en bois, sur les jambes nues, les fesses, les doigts qui essaient de protéger le reste. Douloureux les doigts, les ongles. Avec le martinet, on a compris que les cuillères en bois ça faisait moins mal. La cuillère en bois est devenue la punition du faible, alias ma mère, qui pendant une époque n'utilisait plus que ça pour nous "calmer". 
  A l'époque mon père rentrait tard et pour nous c'était la liberté, on était surexcités, on faisait connerie sur connerie, je pense qu'on était stressés en fait, du retour du "Boucher" (mon frère m'a rappelé ce surnom qu'on donnait à mon père). Ma mère cuisinait et nous on faisait tout pour la rendre dingue, se battre, foutre le bordel alors qu'on devait ranger. Souvent, on avait droit à une bonne raclée à la cuillère en bois. Ça calmait les esprits au début mais on a vite compris que ma mère fatiguait beaucoup plus vite que mon père et que ses coups faisaient beaucoup moins mal! J'ai tout de même le souvenir d'avoir vu des cuillères en bois voler en éclat dans la pièce. Et au bout d'un moment, ma mère s'est mise à nous menacer avec le martinet, puis finalement elle s'en ait servi aussi, mais seulement des petits coups avec les extrémités sur les chevilles et les pieds.

   Au supermarché du coin, ils vendaient des martinets (!) mais avec de tout petits manches en bois et des lanières en plastique transparent de 20 cm de toutes les couleurs, bref, un accessoire de cirque comparé à celui de mon père.
   Le petit Nils en rigolant: "Maman! Regarde le martinet! Il est vraiment minus par rapport au notre! Il doit pas faire mal, celui-là!". Ma mère, un rire genée: "Chuuuut!".

   Le martinet, c'est dans la main de mon père qu'il devenait effrayant. Parfois, il ne s'énervait pas tout de suite et il disait, à table par exemple: "Va m'chercher le martinet" d'un ton sec. La personne visée obtempérait sans moufter. Et d'un coup, ça partait, en martelant la leçon pour qu'elle rentre bien. 
   Le martinet sur un pantalon, c'est douloureux, ça brûle. Le martinet sur les jambes nues, c'est horrible dirait la petite Rose. Quand l'orage est passé, réfugiée dans sa chambre, elle soulève le bord de sa jupe, ça chauffe. Puis les lanières apparaissent en relief sur la peau, en rose fluo, avec parfois une trace de sang au bout. Elle recouvre sa cuisse avec sa jupe et pose doucement sa main sur le tissu, ça chauffe à travers.
 Et après? Je me demande à quoi elle pensait la petite Rose juste après ce moment-là? Impossible de m'en rappeller. Encore plus tard, tout est redevenu calme, chacun dans son coin, on se retrouve mais on parle à voix basse. On montre sa solidarité avec celui qui vient d'être puni avec un "Quel connard..." à peine expiré.
   A cette époque, le martinet a disparu quelques fois, disparitions volontaires orchestrées par l'un de nous 3. Malheureusement, ces expéditions punitives se terminaient en général très mal pour nous tous. Je ne sais pas ce qu'il est devenu ce fameux martinet, je pense que mes parents s'en sont débarrassé lorsque nous avons déménagé à l'étranger (à mes 13 ans). J'espère qu'ils n'en ont pas fait cadeau à quelqu'un d'autre.


Roger Ballen Ambivalence (2003)  

   
      

mardi 7 février 2012

Les limites de la violence

   Je constate sur les forums que beaucoup de gens se demandent: "suis-je victime de maltraitance?".
Moi aussi je me suis posée cette question au début de ma prise de conscience. C'est comme si on n'osait pas se l'avouer, mais on a un doute. Peut-être que oui, peut-être que non... mais non c'est pas possible...

   Exemple de discours intérieur:
   Oui d'accord, on a eu une éducation stricte mais on a eu une bonne éducation, d'ailleurs moi et mes frères et soeur, on est devenu des gens biens avec des valeurs saines comme l'honnêteté, le respect des autres. Bien sûr que la violence est quelque chose qui nous révolte mais les coups qu'on a reçu, c'était pour notre bien! Et puis une paire de claques ça n'a jamais fait de mal à personne, au contraire ça remet les idées en place. Non, quand j'y repense on était vraiment difficiles, à nous 4, ça n'a pas dû être facile pour nos parents tous les jours!

   Il y a un an environ, j'ai eu cette discussion avec ma mère.
-R: Quand même vous avez dû bien en chier avec nous 4 quand on était petits, on était pas faciles...
-M: Oh... Il ne faut pas exagérer, vous étiez des enfants vivants, en bonne santé. Des enfants normaux qui bougent, qui jouent qui crient.
   Malaise. Dans mon souvenir mon père ne nous désignait jamais sous d'autres qualificatifs que "Sales gosses" ou "Sales gniards". Dès qu'on s'amusait, il nous battait parce qu'on "faisait que des conneries" ou "trop de bruit", parfois au sang avec ce qui lui tombait sous la main.
   Non, dans mon souvenir nous étions d'infâmes petits démons qui méritions tout à fait de nous en prendre plein la gueule de la part de ce père si parfait... Difficile de remettre en cause cette autorité marquée dans l'âme et dans la chair!

   Hier, discussion avec Balthazar autour d'une infusion et d'un pétard:
-R: Pour moi un enfant maltraité, j'ai toujours eu l'image de l'enfant enfermé dans un placard et brûlé avec des cigarettes, pas l'image d'être battu au martinet, à la cuiller en bois,... Et pour toi?
-B: C'est les deux! C'est pareil! C'est de la maltraitance!
-R: Pour moi, la différence c'est que l'enfant brûlé est maltraité et que l'enfant tapé au martinet, c'est moi qui ai fait une bêtise... (pleurs)
   Malaise. Ma manière d'appréhender la violence est biaisée par la culpabilité, si mon père me tape, c'est que je le mérite. Je suis coupable, j'ai fait quelque chose de mal. J'ai encore du mal à mesurer l'horreur d'un tel acte... La petite Rose, elle, a bien senti que c'était injuste et cruel que ce père dont elle n'a jamais eu un mot gentil ou une caresse, puisse lui faire tant de mal..

   On peut oublier tant qu'on veut, refouler, ne pas y penser, notre mémoire d'enfant est toujours là quelque part, bien enfouie sous des couches de bons arguments.
   Si vous avez le moindre doute, écoutez la petite voix qui vous dit: "Et si...", autorisez-vous à fouiller un peu plus profond dans votre ressenti, dans votre histoire. Quel risque y a-t-il? Au pire vous vous trompez, et alors? ce n'est pas grave de chercher la vérité!
Mais vous le sentez vous aussi n'est-ce-pas ce malaise, cette peur diffuse de ce qu'on peut rencontrer au bout du chemin? Cette peur est la trouille toute naturelle de mettre fin à une autocratie parentale qui dure depuis l'enfance et nous empêche d'exister car elle nous dicte que faire et que ressentir depuis notre âge le plus tendre...
   Je veux briser ces chaînes, me libérer de cette dictature, de ce culte de la personnalité qui m'empêche depuis 30 ans de me voir telle que je suis...
   Beaucoup de courage à tous,
   Rose






dimanche 5 février 2012

Une petite histoire de Cham

   Dur dur, le réveil ce matin... Gueule de bois au figuré. Ouuuh! la vilaine petite fille ingrate qui pense et ose dire du mal de ses parents à tout le monde! Difficile de se défaire des mauvaises habitudes et de ce fichu commandement: "Tu honoreras ton père et ta mère". Pourtant je n'ai pas eu d'éducation religieuse ou si peu... L'obligation d'apprendre le Notre Père en allemand, ça compte?
   Ce matin la culpabilité est présente même si ma tête sait que ce que je ressens est justifié.
   Hier matin, j'ai parlé du secret honteux à Cham, un de mes deux petits frères, le plus jeune. Il n'a pas été surpris et a pris depuis longtemps ses distances d'avec mes parents. Pour lui aussi, les souvenirs de violence sont vivaces.
   Il était le plus rebelle de nous 4, le petit Cham osait toujours répondre aux cris, aux insultes et parfois aux coups. C'était vraiment déstabilisant pour les spectateurs de ces scènes (nous) parce que l'intensité de la violence ne cessait de grimper. La petite Rose, les poings serrés, hurlait en silence dans sa tête "Non, chut, petit Cham ne dit rien, chut mais tais-toi donc, plie-toi, ça s'arrêtera plus vite...", une fois il me semble avoir gémi un petit "non" ou un "tais-toi" malgré moi, mais quelle importance?
   Un dimanche, mon père a piqué une crise de rage parce que Cham (13 ou 14 ans à l'époque) dormait encore à midi. C'était un jour où il avait décrété que tout le monde allait participer au jardin. Il est donc allé sortir mon frère de son lit en hurlant... et Cham a résisté, hurlé en retour, répondu à chaque insulte et quand mon père a essayé de le frapper, Cham s'est emparé d'une fourche. Drôle de scène... Mon père était impressionné, presque choqué, ça se voyait, par un tel geste de rébellion. Qu'il ose ne pas se laisser faire! Ma mère hurlait en fond sonore mais personne ne l'écoutait. Cham disait: "Allez, viens maintenant, connard, c'est qui le plus fort?" ce qui faisait hurler de rage mon père, sans la fourche, il l'aurait massacré.
   Finalement, un témoin les a séparé, Cham est retourné dormir, nous au jardin. Le drame familial n'avait finalement pas eu lieu.
   Le petit Cham malgré sa résistance à l'écrasement paternel a été un enfant très solitaire, plutôt renfermé. Je l'ai vu se frapper lui-même en cas de frustration vers 8-9 ans et se brûler volontairement le bras avec sa cigarette bien plus tard, lors d'une soirée bien arrosée. Mais je reviendrais une autre fois sur toutes ces souffrances physiques qu'on peut s'infliger à soi-même.
   D'avoir parlé à Cham m'a délivré un peu plus de ce passé trouble mais malgré ça je ne peux pas m'empêcher d'entendre la petite voix de mes parents dans ma tête: " Oui c'est elle qui nous a séparé de nos enfants, elle leur a mis des idées dans la tête, je ne comprend pas, on s'est toujours bien entendu etc etc...".
   Oui le chemin de mon intégrité est encore long, se débarrasser de cette fichue culpabilité...
   Bon dimanche à tous,
   R.


samedi 4 février 2012

Nourriture pour l'esprit et le coeur

   J'espère que l'histoire de Rose aidera les personnes qui se sentent isolées, sans repères, avec une estime de soi dans les chaussettes ou incapables d'agir parce que tétanisées par la peur de déplaire à leur bourreau. Idéalement, j'aimerai que mon témoignage puisse aider d'autres personnes ayant été maltraitées dans leur enfance à oser briser le silence et à oser s'affirmer en tant que victime, au moins à leurs propres yeux. A mon sens, c'est le point de départ d'une possible guérison. 

Voici 2 livres qui ont été très importants pour ma prise de conscience: 

  •  "Retrouver l'enfant en soi" de John Bradshaw. 
  Bradshaw retrace les différents besoins affectifs de l'enfant au fur et à mesure de son développement mais aussi ce qui se passe chez l'enfant quand ces besoins sont bafoués ou négligés. A chaque début de chapitre, il y a un genre de test qui permet de prendre conscience si certains de nos propres besoins n'ont pas été entièrement satisfaits lors de notre enfance. 
   Les exemples, très nombreux, utilisés dans le livre m'ont fait revivre des flashs de violence très intense. Épisodes douloureux mais nécessaires... Attention à être bien entouré lors de la lecture, je pense qu'il est important de partager ces flashs avec quelqu'un de confiance, une oreille empathique et compatissante. Le fait de verbaliser un épisode violent permet de lui donner une réalité, et permet enfin au petit enfant blessé à l'intérieur de soi d'avoir voix au chapitre!

   Comme dans toute lecture, il y a du bon et du moins bon. Bradshaw est prêtre donc la religion est parfois  présente dans son ouvrage mais il ne bâtit pas la guérison de l'enfant sur la nécessité de pardonner ses bourreaux pour s'en délivrer. Sa méthode est plutôt basée sur des méditations au cours desquelles l'adulte visualise le petit enfant qu'il était alors et lui prodigue les soins et le réconfort qu'il aurait dû recevoir de ses parents. Je ne suis pas arrivée à ces étapes-là et pour l'instant et je ne me sens pas à l'aise avec ce genre d'exercice mental, j'ai l'impression de jouer un rôle (encore un...).
   
  •  "Notre corps ne ment jamais" de Alice Miller
      Celui-là je l'ai terminé hier soir et c'est une mine d'or! Une bouffée d'air frais et de liberté de penser! Alice Miller explique que la morale, la religion et la société obligent les enfants à honorer et aimer leurs parents.  Cela va de soi lorsqu'on est issu d'une famille fonctionnelle, pas besoin de se forcer à ressentir l'amour qu'on porte à ses parents! Par contre, dans le cas des enfants maltraités, cette soumission à l'ordre hiérarchique de la famille nuit terriblement à l'enfant (puis à l'adulte) puisqu'elle place son bourreau en position de toute puissance. 
   S'en suivent toutes les pensées parasites d'auto sabotage du style: "j'ai mérité tout ça" "Je vaux moins que rien" "Je suis une merde" puisque le Père en a décidé ainsi et que toute la société va dans ce sens du respect des aînés. 
   Cet état d'amour et de reconnaissance forcée enferme l'ex enfant battu dans un reniement complet de son être pour se sacrifier aux désirs de ses parents qui sont pour le coup complètement idéalisés... et la comédie continue, au détriment de sa propre vérité.
  
   Le constat est accablant, ces ex enfants blessés meurent plus jeunes (suicides, comportements auto destructeurs), souffrent plus fréquemment de maladies avec le temps et surtout risquent de reproduire ces schémas sur leur propres enfants...
   Effrayant, n'est-ce pas? Mais édifiant... Éloignez-vous sans tarder de vos parents toxiques... Vous avez le droit de ne pas aimer et de ne pas honorer ceux qui n'ont rien fait pour que vous les aimiez! Un vrai sentiment, une émotion authentique ne peut pas être dictée par la morale, la religion ou la société, un vrai sentiment se ressent en toute liberté envers des personnes qui nous considèrent comme des individus à part entière.
Ce livre donc est à mettre sans modération dans toutes les mains, car en plus de conseils avisés et d'exemples concrets, Alice Miller nous raconte l'enfance difficile de grands écrivains (Proust, Kafka, Dostoïevski), de dictateurs ou de tueurs en série. On redécouvre des personnages célèbres sous un angle moins connu, comment ont-ils dépassé cette période néfaste de leur vie...

  J'espère que ces nourritures sauront vous rassasier et remplir un peu le manque. J'espère que ces livres vous donneront la force de dépasser cette peur tellement immense et de nager contre le courant des règles familiales séculaires.
 A bientôt,
 R.  


Etat des lieux

   Je m'appelle Rose, j'ai 33 ans et je suis en train de lever le masque sur mon enfance.
Comme mes frères et ma soeur, j'ai subi de la violence de la part de mon père dans ma petite enfance.
Depuis 5 mois j'essaie de retrouver les souvenirs de cette période que j'avais complètement occultée, enfouie au plus profond de moi-même comme un sale petit secret qu'il ne faut surtout pas révéler. Avec l'aide de Nina, ma psychologue, je replonge au coeur de cet univers de tension et d'angoisse, impression de se replonger dans un vieux cauchemar mais bien familier pourtant, du genre de ceux qui laissent un goût amer et des traces cuisantes. Cette (re)descente aux enfers peut sembler paradoxale, combien de fois ai-je entendu que le passé c'est le passé, qu'il faut avancer, se tourner vers l'avenir et oublier les mauvais souvenirs... Oui c'est même ce que j'ai fait de mieux pendant ces 33 années de vie, fuir, me voiler la face, changer de vie, partir à l'étranger, aller de l'avant.
   Il y a 5 mois je surfais sur un site web chinois de produits chimiques pour commander la capsule d'euthanasiant pour chien qui allait vraisemblablement me permettre de fuir une dernière fois. La commande arriverait par la poste dans 3 semaines. Mais je n'ai pas eu le courage de mettre un terme à ma souffrance de cette manière car je culpabilisais déjà à l'avance du mal que ça aurait pu faire à Balthazar mon conjoint mais aussi et surtout à mon père, la personne que j'aimais le plus au monde, à ce moment-là.
   J'ai donc appelé à l'aide un centre de psychologues près de chez moi et j'ai rencontré Nina que je rencontre toutes les semaines depuis 5 mois. On gratte où ça fait mal pour comprendre pourquoi ça fait mal et comment cette douleur contamine ma vie d'adulte en m'empêchant d'être moi-même. En gros j'affronte mes peurs d'enfants pour pouvoir cicatriser ces vieilles blessures. Cette voie est passionnante à explorer car elle permet petit à petit de se débarrasser de la Honte, énorme, totale, écrasante de l'enfant qui pense avoir mérité tout ça.              
   Mais cette démarche est difficile aussi, douloureuse quand on ne sait plus du tout qui on est, quand on ne comprend pas ses réactions. On avance à tâtons dans une grande pièce sombre remplie de souvenirs nauséabonds, d'interdits, et de très grosses frayeurs. Heureusement, je ne suis pas seule dans cette démarche, il y a Nina qui est le repère stable de la santé, et puis il y a Balthazar, mon amour qui partage ma vie depuis 10 ans et qui m'écoute, me comprend, hallucine lui aussi alors que le masque est en train de tomber.
   Voici le début de mon histoire, l'histoire de la grande Rose qui tombe le masque mais aussi l'histoire de la petite Rose blessée et qui souffre toujours et depuis si longtemps.