vendredi 2 mars 2012

Mishima

  Je viens tout juste de terminer une très bonne biographie de Yukio Mishima (de Jennifer Lesieur). Cet auteur et poète japonais s'est rendu tristement célèbre le 25 Novembre 1970 en commettant un des derniers seppuku du 20ème siècle à l'âge de 42 ans. Il s'agit d'un suicide rituel de guerriers japonais de la Société du Vent Divin (Kamikaze), une mort pour l'honneur. Techniquement, Mishima s'est ouvert le ventre de gauche à droite à l'aide d'un poignard. Il se fait ensuite décapiter à coups de sabre par un camarade qui subira le même sort que lui.


   La mort imprègne toute l'oeuvre de Mishima, son idéal esthétique est le jeune et viril héros promis à une mort violente au combat pour défendre sa nation ou l'empereur. L'érotisme et la sensualité sont aussi liés à la mort "choisie" et il décrit également dans certaines de ses oeuvres des suicides en couple. Apparemment, il associe très tôt le désir sexuel à la mort puisqu'il décrit dans Confessions d'un masque sa première attirance sexuelle pour ce tableau du martyre de Saint-Sébastien:

Saint-Sébastien de Guido Reni
Mise en scène de Mishima
   Ce qui attire Mishima, c'est le regard extatique du jeune homme en train de mourir, le plaisir se trouverait donc dans la souffrance et le summum de ce plaisir dans la mort violente. Malgré ce fantasme Mishima n'est pas devenu tueur en série mais écrivain, auteur de pièces de théâtre et acteur. La mort l'accompagne dans sa vie et dans son oeuvre. Pour lui, réussir sa vie, c'est réussir sa mort et il vaut mieux qu'elle arrive dans sa jeunesse. De préférence une mort choisie avec un prétexte "noble" comme la guerre ou l'honneur. 
   Pour concrétiser cette pulsion morbide, Mishima ne fait pas dans la dentelle, il crée une milice apolitique (clairement de droite quand même) avec camp d'entraînement, nostalgie de la grandeur du Japon d'autrefois et vision romantique de la mort au champ d'honneur. C'est la Société du Bouclier (Tatenokai). Mishima veut faire un putsch pour changer la constitution de 1947 qui interdit au Japon d'avoir une armée suite à la défaite de la Seconde Guerre Mondiale, affront inadmissible pour Mishima qui veut rendre sa souveraineté au Japon. Le 25 Novembre 1970, après une prise d'otage plus ou moins ratée, Mishima réussit néanmoins sa mise en scène et se donne la mort devant la presse et son armée.

Mishima quelques instants avant sa mort

   Cette mort, il l'a anticipée, préparée, savourée toute sa vie. Il l'a mise en scène au théâtre, dans ses romans, quelques mois avant sa mort il organise des rétrospectives de son oeuvre, expose le sabre avec lequel il sera décapité. Quelques jours avant sa mort, il se fait photographier chez lui pour une série intitulée La Mort d'un Homme, où il est immortalisé dans diverses saynètes morbides, dont un seppuku.
  
Mise en scène de Mishima
   Difficile de ne pas mettre en relation cette fascination pour la mort avec l'enfance de Mishima. Il a été littéralement enlevé à ses parents dès sa naissance par sa grand-mère paternelle Natsuko qui le coupe du monde et l'oblige à prendre soin d'elle. Mishima vit cloîtré dans la chambre de sa grand-mère, semi-démente, elle lui interdit de jouer avec les autres enfants, de s'exposer au soleil, lui impose des régimes alimentaires fantasques censés le guérir de sa santé fragile. La santé de Natsuko déclinant, c'est Mishima qui la soigne, la masse, la rassure, lui donne ses médicaments, elle en fait un parfait petit infirmier. On imagine la terreur de ce petit Mishima lorsqu'une nuit sa grand-mère, dans une crise se met un couteau la gorge et hurle qu'elle préfère mourir... C'est cette même grand-mère qu'il aime malgré tout qui lui fait découvrir le théâtre No et le Kabuki, elle lui communique aussi sa passion pour la littérature.
   A 12 ans, il quitte enfin ce cocon malsain pour retrouver sa vraie famille. Mais là encore tout n'est pas rose, son père (ancien militaire) décide de l'"endurcir", de gommer son "côté efféminé" en imaginant des jeux sadiques, comme faire semblant de le lâcher sur les rails devant un train qui passe... Il lui interdit également la lecture et encore plus l'écriture. Petit Mishima... blessé, abusé, nié dans sa nature...
   

   Cette biographie est très bien écrite, fourmille d'informations sur l'histoire du Japon, la littérature japonaise et retrace la vie hors-norme d'un ex-enfant blessé fasciné par la mort au destin tragique.
   R.

    

   

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