mardi 21 février 2012

Happy birthday...

   Je m'étais réjouie un peu trop vite... Ces derniers jours, j'avais retrouvé plein d'énergie, je me sentais un peu plus proche de moi-même, bienveillante envers moi-même, plus saine dans ma relation avec les autres. Il y a eu quelques crises, bien sûr, avec une seule fois une très forte envie de me faire mal mais j'avais réussi à me maîtriser et plus ou moins l'analyser. Bref, j'allais bien. Assez bien pour décider de souhaiter un bon anniversaire à mon père. 
   Et en moins d'une demie heure de conversation, la vilaine honte qui revient, celle qui fait qu'on est moche, petit et sale. La petite touche d'humiliation au détour d'une phrase "innocente", un brin de manipulation, de culpabilisation, je me sens mal, en danger. 
   Mais, depuis que j'ai ouvert les yeux sur mon passé, je vois clair dans leur jeu. Je sais exactement ce qu'ils attendent de moi et à quel moment. En discutant avec eux je retrouve le même vieux costume qu'ils ont taillé pour moi il y a 33 ans. Et la pièce de théâtre continue, sur votre écran si l'appel est par Skype...
   Voilà ce soir ça m'a fait mal. Et ça a duré une heure ou deux avec une impression de régression, une peur, une angoisse vague qui tenaille. Le sale goût amer qui revient dans la bouche. Comme il y a 6 mois, quand j'étais au plus mal, au plus enfoncé dans cette noirceur. Puis, j'ai eu de la colère envers mes parents, envers mon père. J'ai repensé aux anniversaires de mon père. C'était le seul bisou de l'année, que dis-je le seul contact physique que j'avais avec mon père dans l'année à part les claques, coups de doigts ou autres punitions/jeux. Alors oui, forcément, ce contact fait peur. Chacun à notre tour on allait faire un "bisou" à papa pour son anniversaire. Je me souviens comme c'était effrayant. 
   Au premier abord, ce qui frappe la petite Rose c'est cette odeur d'après-rasage qu'il a utilisé pendant toute cette période-là. Un parfum lourd de menace car associé au personnage et à cette crainte qu'il inspire. Elle approche de son papa mais n'ose pas le regarder dans les yeux, c'est trop étrange ce qui va se passer. L'odeur devient plus forte alors qu'elle approche sa petite bouche du visage. "Bon anniversaire papa" à peine soufflé. La bouche qui frôle à peine la barbe qui pique et un peu la peau. Sous cette peau, la petite Rose sent un frémissement de rage, de colère, un animal sauvage qui attend. Même s'il est caché pour le moment il peut resurgir n'importe quand, se défouler sur n'importe qui, imprévisible. C'est déjà fini, le bisou. Lui, bien sûr n'en a pas donné. Il lui serre très fort une épaule d'un geste brutal, maladroit. Il dit: "Merci ma fille" d'un ton ironique, un sourire mauvais. La petite Rose ne le sait pas encore à ce moment-là mais il ne sait pas exprimer ce qu'il ressent, ça lui fait peur, alors il diminue, il rabaisse pour donner le change. Il les regarde patauger chacun à leur tour dans cet exercice affectif où leur maladresse est flagrante. 
   Autre souvenir douloureux, une fois qu'on lui avait acheté une bouteille de vin pour la fête des pères, il a rigolé car c'était de la piquette (c'était le cas, d'ailleurs) puis il a dit à ma mère qu'on avait fait ça juste pour ne pas se faire taper, qu'on était des lèche-culs (il faut dire que ça arrivait parfois). Ma mère avait été blessée car elle nous avait aidés à acheter le cadeau. Avec le recul, c'était un peu ça, un micropeuple de 3 ou 4 enfants qui faisait une offrande à leur dieu. Un dieu merveilleux et terrible, duquel ils attendaient tellement, duquel ils dépendaient fortement. Un dieu de colère noire et de foudres cinglantes. Mais on ne voulait pas seulement éviter une punition, on ne le savait pas à l'époque mais ce qu'on voulait c'était de la proximité, de l'échange, de la gratitude, de la considération, choses que mon père était incapable de partager avec nous. Mais bon, je pense que ce sentiment de toute puissance devait bien lui plaire à l'époque.
  Voilà petite Rose, pardonne moi d'avoir oublié ces "bisous d'anniversaires" tendus et effrayants. Tu n'as plus besoin d'avoir peur maintenant, tu n'as plus besoin non plus de commencer à penser à cet anniversaire 2 mois avant "C'est bientôt l'anniversaire de mon père, il faut absolument que j'y pense". Tu n'es plus obligée d'envoyer un mail, d'appeler s'il n'a pas répondu au mail. D'avoir peur qu'il ne l'ait pas vu et qu'il pense que je l'ai oublié. Rose, tu peux arrêter d'attendre quelque chose de sa part, ce que tu attends il ne pourra jamais te le donner: l'amour dont tu avais besoin il y a 25 ans. 
   Bon, je parle de moi à la troisième personne, il est donc l'heure d'aller dormir... 
Bonne nuit à tous,
R.


      Marilyn Monroe :"Happy birthday Mr President"
     


dimanche 12 février 2012

Martinet

  Mon père était médecin de campagne dans un petit village de l'Ouest de la France. Un jour, un de ses patients lui fit un cadeau dont on se serait bien passé. Je ne pense pas qu'on ait eu droit à des présentations en bonne et due forme à l'époque mais plutôt à une entrée en matière corsée. Le cadeau, c'était un manche en bois de 20cm de long auquel étaient cloutées des lanières de cuir marron d'1m de long. Les lanières avaient une section carrée de 1cm de côté. Du fait maison. Ce cher patient à mon père l'avait fabriqué "spécialement pour vous docteur, je sais que vous avez 4 enfants..."
   Impossible à saboter. Le petit Cham a réussi une fois à couper 2 lanières. Il avait utilisé 2 sortes de ciseaux différents et même un couteau. La petite Rose a dit: "Non, arrête... T'es fou... Fais pas ça, tu vas te faire buter...". Il a fini de couper une lanière au couteau. Quand mon père s'en ait aperçu, il ne l'a pas loupé. La petite Rose dans sa chambre juste à côté a bouché ses oreilles, la boule au ventre. 
   Il y aura eu 2 époques, une avant et une après le martinet. Avant ce délicieux cadeau, il y avait les cuillères en bois, sur les jambes nues, les fesses, les doigts qui essaient de protéger le reste. Douloureux les doigts, les ongles. Avec le martinet, on a compris que les cuillères en bois ça faisait moins mal. La cuillère en bois est devenue la punition du faible, alias ma mère, qui pendant une époque n'utilisait plus que ça pour nous "calmer". 
  A l'époque mon père rentrait tard et pour nous c'était la liberté, on était surexcités, on faisait connerie sur connerie, je pense qu'on était stressés en fait, du retour du "Boucher" (mon frère m'a rappelé ce surnom qu'on donnait à mon père). Ma mère cuisinait et nous on faisait tout pour la rendre dingue, se battre, foutre le bordel alors qu'on devait ranger. Souvent, on avait droit à une bonne raclée à la cuillère en bois. Ça calmait les esprits au début mais on a vite compris que ma mère fatiguait beaucoup plus vite que mon père et que ses coups faisaient beaucoup moins mal! J'ai tout de même le souvenir d'avoir vu des cuillères en bois voler en éclat dans la pièce. Et au bout d'un moment, ma mère s'est mise à nous menacer avec le martinet, puis finalement elle s'en ait servi aussi, mais seulement des petits coups avec les extrémités sur les chevilles et les pieds.

   Au supermarché du coin, ils vendaient des martinets (!) mais avec de tout petits manches en bois et des lanières en plastique transparent de 20 cm de toutes les couleurs, bref, un accessoire de cirque comparé à celui de mon père.
   Le petit Nils en rigolant: "Maman! Regarde le martinet! Il est vraiment minus par rapport au notre! Il doit pas faire mal, celui-là!". Ma mère, un rire genée: "Chuuuut!".

   Le martinet, c'est dans la main de mon père qu'il devenait effrayant. Parfois, il ne s'énervait pas tout de suite et il disait, à table par exemple: "Va m'chercher le martinet" d'un ton sec. La personne visée obtempérait sans moufter. Et d'un coup, ça partait, en martelant la leçon pour qu'elle rentre bien. 
   Le martinet sur un pantalon, c'est douloureux, ça brûle. Le martinet sur les jambes nues, c'est horrible dirait la petite Rose. Quand l'orage est passé, réfugiée dans sa chambre, elle soulève le bord de sa jupe, ça chauffe. Puis les lanières apparaissent en relief sur la peau, en rose fluo, avec parfois une trace de sang au bout. Elle recouvre sa cuisse avec sa jupe et pose doucement sa main sur le tissu, ça chauffe à travers.
 Et après? Je me demande à quoi elle pensait la petite Rose juste après ce moment-là? Impossible de m'en rappeller. Encore plus tard, tout est redevenu calme, chacun dans son coin, on se retrouve mais on parle à voix basse. On montre sa solidarité avec celui qui vient d'être puni avec un "Quel connard..." à peine expiré.
   A cette époque, le martinet a disparu quelques fois, disparitions volontaires orchestrées par l'un de nous 3. Malheureusement, ces expéditions punitives se terminaient en général très mal pour nous tous. Je ne sais pas ce qu'il est devenu ce fameux martinet, je pense que mes parents s'en sont débarrassé lorsque nous avons déménagé à l'étranger (à mes 13 ans). J'espère qu'ils n'en ont pas fait cadeau à quelqu'un d'autre.


Roger Ballen Ambivalence (2003)  

   
      

mardi 7 février 2012

Les limites de la violence

   Je constate sur les forums que beaucoup de gens se demandent: "suis-je victime de maltraitance?".
Moi aussi je me suis posée cette question au début de ma prise de conscience. C'est comme si on n'osait pas se l'avouer, mais on a un doute. Peut-être que oui, peut-être que non... mais non c'est pas possible...

   Exemple de discours intérieur:
   Oui d'accord, on a eu une éducation stricte mais on a eu une bonne éducation, d'ailleurs moi et mes frères et soeur, on est devenu des gens biens avec des valeurs saines comme l'honnêteté, le respect des autres. Bien sûr que la violence est quelque chose qui nous révolte mais les coups qu'on a reçu, c'était pour notre bien! Et puis une paire de claques ça n'a jamais fait de mal à personne, au contraire ça remet les idées en place. Non, quand j'y repense on était vraiment difficiles, à nous 4, ça n'a pas dû être facile pour nos parents tous les jours!

   Il y a un an environ, j'ai eu cette discussion avec ma mère.
-R: Quand même vous avez dû bien en chier avec nous 4 quand on était petits, on était pas faciles...
-M: Oh... Il ne faut pas exagérer, vous étiez des enfants vivants, en bonne santé. Des enfants normaux qui bougent, qui jouent qui crient.
   Malaise. Dans mon souvenir mon père ne nous désignait jamais sous d'autres qualificatifs que "Sales gosses" ou "Sales gniards". Dès qu'on s'amusait, il nous battait parce qu'on "faisait que des conneries" ou "trop de bruit", parfois au sang avec ce qui lui tombait sous la main.
   Non, dans mon souvenir nous étions d'infâmes petits démons qui méritions tout à fait de nous en prendre plein la gueule de la part de ce père si parfait... Difficile de remettre en cause cette autorité marquée dans l'âme et dans la chair!

   Hier, discussion avec Balthazar autour d'une infusion et d'un pétard:
-R: Pour moi un enfant maltraité, j'ai toujours eu l'image de l'enfant enfermé dans un placard et brûlé avec des cigarettes, pas l'image d'être battu au martinet, à la cuiller en bois,... Et pour toi?
-B: C'est les deux! C'est pareil! C'est de la maltraitance!
-R: Pour moi, la différence c'est que l'enfant brûlé est maltraité et que l'enfant tapé au martinet, c'est moi qui ai fait une bêtise... (pleurs)
   Malaise. Ma manière d'appréhender la violence est biaisée par la culpabilité, si mon père me tape, c'est que je le mérite. Je suis coupable, j'ai fait quelque chose de mal. J'ai encore du mal à mesurer l'horreur d'un tel acte... La petite Rose, elle, a bien senti que c'était injuste et cruel que ce père dont elle n'a jamais eu un mot gentil ou une caresse, puisse lui faire tant de mal..

   On peut oublier tant qu'on veut, refouler, ne pas y penser, notre mémoire d'enfant est toujours là quelque part, bien enfouie sous des couches de bons arguments.
   Si vous avez le moindre doute, écoutez la petite voix qui vous dit: "Et si...", autorisez-vous à fouiller un peu plus profond dans votre ressenti, dans votre histoire. Quel risque y a-t-il? Au pire vous vous trompez, et alors? ce n'est pas grave de chercher la vérité!
Mais vous le sentez vous aussi n'est-ce-pas ce malaise, cette peur diffuse de ce qu'on peut rencontrer au bout du chemin? Cette peur est la trouille toute naturelle de mettre fin à une autocratie parentale qui dure depuis l'enfance et nous empêche d'exister car elle nous dicte que faire et que ressentir depuis notre âge le plus tendre...
   Je veux briser ces chaînes, me libérer de cette dictature, de ce culte de la personnalité qui m'empêche depuis 30 ans de me voir telle que je suis...
   Beaucoup de courage à tous,
   Rose






dimanche 5 février 2012

Une petite histoire de Cham

   Dur dur, le réveil ce matin... Gueule de bois au figuré. Ouuuh! la vilaine petite fille ingrate qui pense et ose dire du mal de ses parents à tout le monde! Difficile de se défaire des mauvaises habitudes et de ce fichu commandement: "Tu honoreras ton père et ta mère". Pourtant je n'ai pas eu d'éducation religieuse ou si peu... L'obligation d'apprendre le Notre Père en allemand, ça compte?
   Ce matin la culpabilité est présente même si ma tête sait que ce que je ressens est justifié.
   Hier matin, j'ai parlé du secret honteux à Cham, un de mes deux petits frères, le plus jeune. Il n'a pas été surpris et a pris depuis longtemps ses distances d'avec mes parents. Pour lui aussi, les souvenirs de violence sont vivaces.
   Il était le plus rebelle de nous 4, le petit Cham osait toujours répondre aux cris, aux insultes et parfois aux coups. C'était vraiment déstabilisant pour les spectateurs de ces scènes (nous) parce que l'intensité de la violence ne cessait de grimper. La petite Rose, les poings serrés, hurlait en silence dans sa tête "Non, chut, petit Cham ne dit rien, chut mais tais-toi donc, plie-toi, ça s'arrêtera plus vite...", une fois il me semble avoir gémi un petit "non" ou un "tais-toi" malgré moi, mais quelle importance?
   Un dimanche, mon père a piqué une crise de rage parce que Cham (13 ou 14 ans à l'époque) dormait encore à midi. C'était un jour où il avait décrété que tout le monde allait participer au jardin. Il est donc allé sortir mon frère de son lit en hurlant... et Cham a résisté, hurlé en retour, répondu à chaque insulte et quand mon père a essayé de le frapper, Cham s'est emparé d'une fourche. Drôle de scène... Mon père était impressionné, presque choqué, ça se voyait, par un tel geste de rébellion. Qu'il ose ne pas se laisser faire! Ma mère hurlait en fond sonore mais personne ne l'écoutait. Cham disait: "Allez, viens maintenant, connard, c'est qui le plus fort?" ce qui faisait hurler de rage mon père, sans la fourche, il l'aurait massacré.
   Finalement, un témoin les a séparé, Cham est retourné dormir, nous au jardin. Le drame familial n'avait finalement pas eu lieu.
   Le petit Cham malgré sa résistance à l'écrasement paternel a été un enfant très solitaire, plutôt renfermé. Je l'ai vu se frapper lui-même en cas de frustration vers 8-9 ans et se brûler volontairement le bras avec sa cigarette bien plus tard, lors d'une soirée bien arrosée. Mais je reviendrais une autre fois sur toutes ces souffrances physiques qu'on peut s'infliger à soi-même.
   D'avoir parlé à Cham m'a délivré un peu plus de ce passé trouble mais malgré ça je ne peux pas m'empêcher d'entendre la petite voix de mes parents dans ma tête: " Oui c'est elle qui nous a séparé de nos enfants, elle leur a mis des idées dans la tête, je ne comprend pas, on s'est toujours bien entendu etc etc...".
   Oui le chemin de mon intégrité est encore long, se débarrasser de cette fichue culpabilité...
   Bon dimanche à tous,
   R.


samedi 4 février 2012

Nourriture pour l'esprit et le coeur

   J'espère que l'histoire de Rose aidera les personnes qui se sentent isolées, sans repères, avec une estime de soi dans les chaussettes ou incapables d'agir parce que tétanisées par la peur de déplaire à leur bourreau. Idéalement, j'aimerai que mon témoignage puisse aider d'autres personnes ayant été maltraitées dans leur enfance à oser briser le silence et à oser s'affirmer en tant que victime, au moins à leurs propres yeux. A mon sens, c'est le point de départ d'une possible guérison. 

Voici 2 livres qui ont été très importants pour ma prise de conscience: 

  •  "Retrouver l'enfant en soi" de John Bradshaw. 
  Bradshaw retrace les différents besoins affectifs de l'enfant au fur et à mesure de son développement mais aussi ce qui se passe chez l'enfant quand ces besoins sont bafoués ou négligés. A chaque début de chapitre, il y a un genre de test qui permet de prendre conscience si certains de nos propres besoins n'ont pas été entièrement satisfaits lors de notre enfance. 
   Les exemples, très nombreux, utilisés dans le livre m'ont fait revivre des flashs de violence très intense. Épisodes douloureux mais nécessaires... Attention à être bien entouré lors de la lecture, je pense qu'il est important de partager ces flashs avec quelqu'un de confiance, une oreille empathique et compatissante. Le fait de verbaliser un épisode violent permet de lui donner une réalité, et permet enfin au petit enfant blessé à l'intérieur de soi d'avoir voix au chapitre!

   Comme dans toute lecture, il y a du bon et du moins bon. Bradshaw est prêtre donc la religion est parfois  présente dans son ouvrage mais il ne bâtit pas la guérison de l'enfant sur la nécessité de pardonner ses bourreaux pour s'en délivrer. Sa méthode est plutôt basée sur des méditations au cours desquelles l'adulte visualise le petit enfant qu'il était alors et lui prodigue les soins et le réconfort qu'il aurait dû recevoir de ses parents. Je ne suis pas arrivée à ces étapes-là et pour l'instant et je ne me sens pas à l'aise avec ce genre d'exercice mental, j'ai l'impression de jouer un rôle (encore un...).
   
  •  "Notre corps ne ment jamais" de Alice Miller
      Celui-là je l'ai terminé hier soir et c'est une mine d'or! Une bouffée d'air frais et de liberté de penser! Alice Miller explique que la morale, la religion et la société obligent les enfants à honorer et aimer leurs parents.  Cela va de soi lorsqu'on est issu d'une famille fonctionnelle, pas besoin de se forcer à ressentir l'amour qu'on porte à ses parents! Par contre, dans le cas des enfants maltraités, cette soumission à l'ordre hiérarchique de la famille nuit terriblement à l'enfant (puis à l'adulte) puisqu'elle place son bourreau en position de toute puissance. 
   S'en suivent toutes les pensées parasites d'auto sabotage du style: "j'ai mérité tout ça" "Je vaux moins que rien" "Je suis une merde" puisque le Père en a décidé ainsi et que toute la société va dans ce sens du respect des aînés. 
   Cet état d'amour et de reconnaissance forcée enferme l'ex enfant battu dans un reniement complet de son être pour se sacrifier aux désirs de ses parents qui sont pour le coup complètement idéalisés... et la comédie continue, au détriment de sa propre vérité.
  
   Le constat est accablant, ces ex enfants blessés meurent plus jeunes (suicides, comportements auto destructeurs), souffrent plus fréquemment de maladies avec le temps et surtout risquent de reproduire ces schémas sur leur propres enfants...
   Effrayant, n'est-ce pas? Mais édifiant... Éloignez-vous sans tarder de vos parents toxiques... Vous avez le droit de ne pas aimer et de ne pas honorer ceux qui n'ont rien fait pour que vous les aimiez! Un vrai sentiment, une émotion authentique ne peut pas être dictée par la morale, la religion ou la société, un vrai sentiment se ressent en toute liberté envers des personnes qui nous considèrent comme des individus à part entière.
Ce livre donc est à mettre sans modération dans toutes les mains, car en plus de conseils avisés et d'exemples concrets, Alice Miller nous raconte l'enfance difficile de grands écrivains (Proust, Kafka, Dostoïevski), de dictateurs ou de tueurs en série. On redécouvre des personnages célèbres sous un angle moins connu, comment ont-ils dépassé cette période néfaste de leur vie...

  J'espère que ces nourritures sauront vous rassasier et remplir un peu le manque. J'espère que ces livres vous donneront la force de dépasser cette peur tellement immense et de nager contre le courant des règles familiales séculaires.
 A bientôt,
 R.  


Etat des lieux

   Je m'appelle Rose, j'ai 33 ans et je suis en train de lever le masque sur mon enfance.
Comme mes frères et ma soeur, j'ai subi de la violence de la part de mon père dans ma petite enfance.
Depuis 5 mois j'essaie de retrouver les souvenirs de cette période que j'avais complètement occultée, enfouie au plus profond de moi-même comme un sale petit secret qu'il ne faut surtout pas révéler. Avec l'aide de Nina, ma psychologue, je replonge au coeur de cet univers de tension et d'angoisse, impression de se replonger dans un vieux cauchemar mais bien familier pourtant, du genre de ceux qui laissent un goût amer et des traces cuisantes. Cette (re)descente aux enfers peut sembler paradoxale, combien de fois ai-je entendu que le passé c'est le passé, qu'il faut avancer, se tourner vers l'avenir et oublier les mauvais souvenirs... Oui c'est même ce que j'ai fait de mieux pendant ces 33 années de vie, fuir, me voiler la face, changer de vie, partir à l'étranger, aller de l'avant.
   Il y a 5 mois je surfais sur un site web chinois de produits chimiques pour commander la capsule d'euthanasiant pour chien qui allait vraisemblablement me permettre de fuir une dernière fois. La commande arriverait par la poste dans 3 semaines. Mais je n'ai pas eu le courage de mettre un terme à ma souffrance de cette manière car je culpabilisais déjà à l'avance du mal que ça aurait pu faire à Balthazar mon conjoint mais aussi et surtout à mon père, la personne que j'aimais le plus au monde, à ce moment-là.
   J'ai donc appelé à l'aide un centre de psychologues près de chez moi et j'ai rencontré Nina que je rencontre toutes les semaines depuis 5 mois. On gratte où ça fait mal pour comprendre pourquoi ça fait mal et comment cette douleur contamine ma vie d'adulte en m'empêchant d'être moi-même. En gros j'affronte mes peurs d'enfants pour pouvoir cicatriser ces vieilles blessures. Cette voie est passionnante à explorer car elle permet petit à petit de se débarrasser de la Honte, énorme, totale, écrasante de l'enfant qui pense avoir mérité tout ça.              
   Mais cette démarche est difficile aussi, douloureuse quand on ne sait plus du tout qui on est, quand on ne comprend pas ses réactions. On avance à tâtons dans une grande pièce sombre remplie de souvenirs nauséabonds, d'interdits, et de très grosses frayeurs. Heureusement, je ne suis pas seule dans cette démarche, il y a Nina qui est le repère stable de la santé, et puis il y a Balthazar, mon amour qui partage ma vie depuis 10 ans et qui m'écoute, me comprend, hallucine lui aussi alors que le masque est en train de tomber.
   Voici le début de mon histoire, l'histoire de la grande Rose qui tombe le masque mais aussi l'histoire de la petite Rose blessée et qui souffre toujours et depuis si longtemps.